Les banques repartent à l'offensive

Considérées comme à la traîne sur un sujet qu'elles ont pendant longtemps délaissé, les banques veulent reprendre la main sur ce marché en pleine croissance. Pas question de laisser le champ libre aux fintechs, aux « pures players » et encore moins aux Gafam.

Les banques se montrent désormais beaucoup plus offensives dans le domaine du paiement, le plaçant au coeur de leurs stratégies. (Shutterstock)

Par Gabriel Nedelec

 

Publié le 10 févr. 2022

 

Ringardisées par le discours de fintechs aux valorisations affolantes, qui ne cessent de clamer leur volonté de bousculer les acteurs traditionnels, mises à mal par les ambitions grandissantes en matière de services financiers des géants du Web, aux volumes d'utilisateurs massifs… Dans le métier des paiements, les banques ont pu apparaître ces dernières années comme à la traîne, d'autant qu'elles doivent bien souvent composer avec la lourdeur de leurs systèmes informatiques vieillissants. Mais plus question pour elles de céder une once de territoire.

Après avoir pris le temps d'analyser les bouleversements du marché, elles sont aujourd'hui beaucoup plus à l'offensive. Ainsi, les paiements seront l'un des piliers du plan stratégique que BNP Paribas vient de présenter et doit détailler aux investisseurs le mois prochain. Le groupe a par ailleurs bouclé la semaine dernière le rachat de Floa Bank, son arme pour se faire une place sur le marché en plein essor du paiement fractionné.

JP Morgan affiche ses ambitions dans le paiement en Europe

« Cette opération s'inscrit pleinement dans l'ambition du groupe de poursuivre le développement de ses activités dans le paiement », assure Neil Pein, responsable de la transformation des paiements chez BNP Paribas. Floa, leader français du paiement en trois fois sans frais, doit permettre au groupe de servir 10 nouveaux pays européens en quatre ans. Les acteurs du secteur sont engagés dans une véritable course contre la montre pour séduire les marchands qui cherchent à s'équiper de solutions de paiement innovantes, portés par l'accélération de la digitalisation liée à la pandémie.

Secteur délaissé par les banques

Les autres banques françaises ne sont pas en reste. Crédit Agricole a mis la main il y a deux semaines sur la SFPMEI. Bien que discrète, cette société spécialisée dans le banking-as-a-service est en réalité derrière plusieurs licornes à succès du domaine des paiements, telles que Lydia ou Spendesk. Même La Banque Postale veut sa part du gâteau : elle a noué un partenariat avec la fintech Alma, afin de se jeter dans l'arène du paiement fractionné. La jeune pousse française s'apprête à annoncer une nouvelle levée de fonds et a de fortes ambitions européennes. Le constat est le même à l'étranger : JP Morgan a récemment mis la main sur une société grecque de paiement, affirmant ainsi l'importance du secteur dans sa stratégie de développement.

« Pendant longtemps, les banques ont délaissé le paiement, qu'elles considéraient comme un centre de coût, explique Grégoire Hermann, analyste paiement chez AlphaValue. La digitalisation et l'évolution de la réglementation, directive DSP2 notamment, ont permis à de nouveaux acteurs de se lancer avec des logiciels capables de générer beaucoup de revenus. Les banques se sont rendu compte qu'elles ne peuvent ni laisser passer ces pertes de revenus, ni laisser filer les données qui sont associées à ces transactions. »

Un marché à 1.500 milliards de dollars

Selon une étude du Boston Consulting Group datant de la fin d'année dernière, le marché des paiements pourrait en effet atteindre 2.900 milliards de dollars en 2030, contre 1.500 milliards aujourd'hui. Et les auteurs de l'étude le confirment : les banques considèrent de plus en plus les activités de paiement comme une source stratégique de valeur, qui « produit des revenus fiables et de riches flux de données clients ».

« Du fait de la richesse de ces données, les banques ont commencé à comprendre que le paiement est la nouvelle clé de la relation client, explique le consultant Patrice Bernard, auteur du blog spécialisé C'est Pas Mon Idée. Autrement dit, que c'est un incontournable pour une banque de détail. » « Aujourd'hui, le marché des paiements est vital dans le modèle de banque traditionnel, abonde Marc Weiss, le directeur des solutions de paiement chez Crédit Mutuel Alliance Fédérale. C'est au coeur de la vie quotidienne de nos clients. Nous nous devons d'être à leurs côtés pour cela. » C'est d'ailleurs précisément pour cette relation privilégiées que les géants du Web comme Apple et Google se sont engagés dans le secteur, reprend Patrice Bernard.

Cet aspect relation client redonne également vie à un modèle économique propre au paiement, poursuit-il. A une transaction classique, il est en effet possible d'ajouter un grand nombre de services et de les vendre soit aux consommateurs, soit aux commerçants : des promotions, des outils de fidélisation, etc. Autrement dit, pour les banques, comme pour les nouveaux entrants, le paiement est une véritable porte d'entrée sur un univers riche en services, et surtout en lucratives commissions.

Gabriel Nedelec